Caligola delirante

Marionnettes et chanteurs s’emparent de l’opéra baroque de Pagliardi pour raconter l’histoire de cet amoureux fou, qui rêve de conquérir la Lune.
Enchanteur.

Judith Chaine – Télérama


Il y a des scènes bouleversantes, celle où Mimmo Cuticchio, sorte de bon géant à barbe blanche, se met à valser, ses créatures au bout des bras, avec la jubilation amoureuse d’un vieux Geppetto s’émouvant de la paternité du pantin de bois Pinocchio.

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Bande annonce DVD, réalisation Jean-Pierre Loisil

Argument

Caligula, empereur de Rome, tombe follement amoureux d’une belle reine, Teosena, éplorée de la mort de son époux, au point de répudier sa femme. Tout irait bien si sa femme Cesonia ne lui versait pas un filtre d’amour un peu trop puissant, si le mari Tigrane était vraiment mort, si son ennemi pacifié Artabano n’était pas aussi son rival en amour, si la belle Teosena l’aimait vraiment, s’il ne la confondait pas avec la Lune, si le Sénat ne tentait pas de le destituer…de quoi devenir fou !

Présentation par Alexandra Rübner et Vincent Dumestre •
Portrait de l’Empeur en marionnette

Caligula, l’empereur fou qui voulait la Lune

De Suétone à Camus, Caligula n’a cessé d’inspirer historiens, poètes et dramaturges, au point de devenir l’archétype d’une folie saturée de cruauté, qui fait jouer jusqu’au cynisme l’arbitraire du pouvoir, et qui se pose comme figure de l’hybris, cette idée grecque de la démesure humaine, qui caractérise la faute tragique, qui est le nœud même où s’origine la tragédie. Mais à côté de cette lecture tragique, il nous semble particulièrement intéressant de poser sur lui un autre regard, de l’éclairer sous un jour nouveau, peut-être plus lumineux. Et d’entendre à la lumière de la pensée baroque la parole de celui qui disait exercer le pouvoir parce qu’il donne ses chances à l’impossible.

La vie est un songe : folie baroque et illusion

Donner ses chances à l’impossible : cette formule nous semble étrangement résumer le credo de la pensée baroque. Cette pensée qui postule que la vie est un songe, que la matière même du réel est tissée d’illusion, et que nos rêves ont une charge de réalité plus dense que ce qu’il est commodément convenu de désigner sous ce nom. Ce sont nos rêves qui secrètent la réalité, et, dès lors assurément, Caligula est un reflet de l’homme baroque. Caligula délire, a perdu la raison, est fou, mais dans sa folie il trouve autre chose, à quoi la raison est aveugle: le monde sous ses yeux se peuple de visions poétiques, étranges, monstrueuses. Son regard est celui du visionnaire, son dérèglement de tous les sens est une ouverture au merveilleux.

Or c’est précisément dans cette dimension merveilleuse que s’inscrit la fable mise en musique à Venise en 1672, par Pagliardi, qui déploie le délire comme un véritable ressort dramatique créateur de visions et de simulacres. Et l’on songe alors aux grands délirants visionnaires qui peuplent le théâtre baroque : le Matamore de Corneille, l’Oreste d’Andromaque, le Sigismond de Caldéron, le Malade Imaginaire de Molière, les Visionnaires de Desmarets de Saint-Sorlin, et quelque part au lointain le spectre du Chevalier à la triste figure, Don Quichotte. La folie apparaîtrait dès lors comme un motif dramaturgique baroque, comme le pli et la volute seraient ceux de l’architecture. Au merveilleux il faut encore ajouter la dimension comique, un comique plaisant, subtil, où affleure le pastiche : sourire corroboré par les relations déformées, renversées, que Caligula, dans sa confusion, entretient avec les personnages, qui deviennent naïade, monstre infernal, Hercule…

Le merveilleux de la marionnette

Mais surtout ce portrait d’un Caligula en héros de l’impossible, en montreur de merveilles, se parachève avec une soudaine évidence : Caligula, et tous les personnages qui l’entourent, ne pouvaient être que des «acteurs de bois», des marionnettes. Pourquoi justement la marionnette pour représenter cet opéra ? La marionnette, c’est la merveille par excellence, au sens propre, elle réalise l’impossible, elle est prodige. Une marionnette, c’est un assemblage de morceaux de bois inerte, et pourtant, par un artifice pour ainsi dire magique, ce corps de bois sans vie, se met à bouger, à parler, à danser, à vibrer de puissantes émotions. Ce paradoxe fascine immédiatement le regard et l’âme du spectateur. La Venise de la fin du 17e et du début du 18e avait fortement senti cette puissance de fascination : le théâtre lyrique de marionnettes est une forme de spectacle qui s’y est remarquablement développée. A côté de la tradition populaire des marionnettes à gaine dans les baraques de rue, s’articule une pratique plus sophistiquée et savante, qui a cours dans les palais et dans les théâtres. Cette forme de mélodrames pour marionnettes associe aux bambocci de bois ou de cire, qui figurent l’action, les voix de chanteurs accompagnés de musiciens, cachés derrière le castelet, de sorte à rendre l’illusion la plus parfaite possible. Les marionnettes à fil utilisées dans ces mélodrames permettaient de reproduire avec le plus grand réalisme les mouvements du corps. Enfin, leur répertoire visait aussi un registre dramatique plus savant, qui n’est pas sans évoquer les arguments opératiques pour acteurs en chair et en os : Didon, Orphée et Eurydice, Ulysse en Phéacie en sont de bons exemple. Cependant, par la simplification de l’action, le happy end, l’introduction fréquente de personnages burlesques, la juxtaposition du comique voire grotesque à la fable, font clairement entrevoir la dimension parodique du mélodrame de marionnettes à l’égard de l’opera seria.

Les pupi de Palerme : un génie épique

La marionnette traditionnelle palermitane –les fameux pupi– à laquelle nous avons choisi de faire appel, n’est pas, contrairement à celle des palais vénitiens de la fin du 17e, une marionnette à fil. C’est une marionnette manipulée à l’aide de tiges de fer fixées à la tête du personnage de bois et à l’un des bras du pupo, notamment pour les scènes de combats, l’autre bras étant relié par un fil. Le génie propre aux pupi est non pas mimétique comme à Venise, mais bien poétique. Mieux encore : épique. Il s’adosse à la tradition de la Chanson de geste, telle que la Chanson de Roland, et de l’épopée des Paladins de la Première Croisade, telle qu’on la rencontre par exemple dans la Jérusalem Délivrée du Tasse ou dans l’Orlando Furioso de l’Arioste. Mais surtout, il faut mesurer l’impact décisif de la tradition orale : au 18e siècle, à Palerme, les aèdes des places publiques se réapproprient l’immense matériau épique hérité des poètes, mais aussi des troubadours français – qui, au Moyen Âge avaient importé oralement ces récits en Italie et en Sicile – et ravissent le public de la rue. C’est donc sur cet art oral et populaire des aèdes que s’appuie l’apparition des premiers pupi, comme un prolongement en corps et en mouvement du récit. On passe ainsi du poème au jeu dramatique, de la rue au théâtre, de la récitation à la marionnette. Les pupari (marionnettistes de pupi) et leur petits théâtres de structure familiale se sont multipliés à Palerme au cours des 18e, 19e, et 20e siècles, et ont perduré jusqu’au début des années trente, où l’arrivée du cinéma marque un moment charnière à partir duquel s’enregistre un déclin qui s’accentue jusqu’à une quasi disparition. Dès lors, de la survivance de cet art populaire adossé à une culture savante, ne demeure qu’un seul représentant : Mimmo Cuticchio, qui, grâce à son père Giacomo qui lui a transmis son art par une pratique à la fois itinérante, de village en village, et locale, à Palerme, se trouve véritablement le dépositaire d’une tradition qui, quelle que soit son évolution, est demeurée vivante et ininterrompue depuis son apparition au 18e siècle.

Entre tradition et création : l’élan vital

C’est donc dans une double perspective que l’art de Mimmo Cuticchio nous a paru le plus juste pour incarner notre opéra de marionnettes: d’abord parce que son mode de représentation épique et non réaliste est en parfaite analogie avec la stylisation poétique du corps théâtral baroque, défini justement par son refus de tout naturalisme. En ce sens le théâtre des pupi pourrait s’éprouver comme un pendant marionnettique du théâtre baroque, dont nous cherchons, de création en création, à évoquer le souffle et l’esprit.

Dans un second temps, peut-être le plus fondamental, l’art des pupi nous interroge quant à notre propre manière d’envisager la tradition théâtrale baroque : Mimmo Cuticchio, nous l’avons compris, est un artiste qui œuvre au cœur d’une tradition vivante, il en est à la fois la mémoire, au sens où il thésaurise les formes et les techniques de l’art, et le prolongement, en tant qu’il ne cesse, au sein même de ce langage théâtral, de créer des formes nouvelles, de se confronter à de nouveaux répertoires et récits, de raconter des histoires à sa manière singulière. Il ne se pose jamais la question de la reconstitution, puisque l’art dans lequel il s’exprime n’est jamais mort. Il ne s’interroge pas, avec scrupules et anxiété, sur l’exactitude historique, mais, librement et joyeusement, sur la cohérence esthétique, et la vérité émotionnelle. J’aime à penser qu’il y a là une source de méditation et de joie à glaner pour nous qui travaillons avec un art musical et théâtral baroque qui a, au contraire, subi une profonde éclipse, non pas mort, mais caché pendant plus de deux siècles. Si en effet nous cherchons à le ressusciter, alors que ce soit en en réveillant la vie souterraine, la mémoire secrète, l’infini génie créateur, plutôt que des objets historiquement informés qui sacralisent dangereusement les idées d’historicité et de conformité au modèle. Le baroque est par définition transhistorique et non conforme. Le baroque n’est pas un moment de l’histoire, c’est un élan vital, c’est une façon d’être au monde. L’art n’a nullement besoin d’instruire, mais il a le devoir de bouleverser. Puissions-nous être les chercheurs d’une tradition vivante qui se souvient autant qu’elle invente, qui invente parce qu’elle se souvient. Que notre art de la mémoire soit un art du présent. Il faut être absolument moderne…

Distribution

Direction artistique et musicale, adaptation livret et partition Vincent Dumestre
Mise en scène Alexandra Rübner et Mimmo Cuticchio
Conception, manipulation et direction des marionnettes (pupi) Mimmo Cuticchio
Conception des toiles peintes Isaure de Beauval
Conception des lumières et direction technique Patrick Naillet
Partition Annick Ostertag

Avec les chanteu·r·se·s
Jan Van Elsacker ou Olivier Coiffet ou Nicholas Scott Caligula
Caroline Meng Cesonia
Florian Götz Artabano / Domitio
Jean-François Lombard ou Paul-Antoine Bénos-Djian ou Reinoud Van Mechelen Tigrane / Claudio
Hasnaa Bennani ou Luanda Siqueira ou Sophie Junker Teosena
Serge Goubioud Gelsa /Nesbo

Et les marionnettistes
Compagnie Figli d’arte Cuticchio
Filippo Verna
Claire Rabant
Sylvain Juret
Alexandra Rübner

Fabrication des pupi par Mimmo Cuticchio en collaboration avec
Pietro Sasso
sculpture des têtes
Salvo Bumbello corps et armures
Tania Giordano costumes, peinture et accessoires
Réalisation dans le laboratoire de la Compagnie Figli d’Arte Cuticchio à Palerme

Le Poème Harmonique • 7 instrumentistes
direction musicale et théorbe Vincent Dumestre
Mira Glodeanu, Fiona Poupard, Agnieszka Rychlik, David Plantier, Birgit Goris, Stéphanie Pfister, Johannes Frisch, Julien Chauvin 2 violons
Lucas Peres viole lirone
Françoise Enock violone
Thor-Harald Johnsen luth
Frédéric Rivoal, Marouan Mankar clavecin

Fabrication du décor 
Atelier de fabrication de l’Opéra de Reims

Peintures des toiles
Atelier Isaure de Beauval avec Martine Nachet et Laurence Boeringer

Equipe technique Arcal
Régie générale Patrick Naillet, Nicolas Roger
Régisseur plateau Nicolas Roger, Stéphane Holvêque

Production

Production Arcal, compagnie nationale de théâtre lyrique et musical
Coproduction Opéra de Reims, Le Poème Harmonique
Soutien Arcadi, Fondation Orange, Spedidam. La SPEDIDAM est une société de perception et de distribution qui gère les droits des artistes interprètes en matière d’enregistrement, de diffusion et de réutilisation des prestations enregistrées

Création au Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières 2011.

Mimmo Cuticchio, Alexandra Rübner, Tania Giordano, Claire Rabant, Sylvain Juret, Filippo Verna & les pupi © Maroussia Podkosova
Caligula, opéra pour marionnettes de G.-A. Pagliardi (1672) © M. Podkosova
Caligula, opéra pour marionnettes de G.-A. Pagliardi (1672) © M. Podkosova
Caroline Meng et Cesonia © Maroussia Podkosova
Filippo Verna, Caligula et Cesonia © Maroussia Podkosova
Gelsa & Caligula © Maroussia Podkosova

Dates

Plus de représentation à venir pour cette saison.

Historique des représentations

Ven. 7 oct. 2011
14:30 (scolaire)
20:00 (tout public)

Opéra de Reims / Reims

Représentation

Ven. 16 déc. 2011
10:00 (scolaire)

Les 2 Scènes / Besançon

Représentation

Ven. 23 mar. 2012
14:30 (scolaire)
21:00 (tout public)

Théâtre Jean Vilar / Vitry-sur-Seine

Représentation

Lun. 27 août 2012
15:00
21:00

Festival Berlioz / La Côte-Saint-André

Représentation